11 novembre 2014, intervention à Joyeuse (Thème Centenaire et continuité)

11 novembre 2014, nous baignons en plein centenaire de cette monstruosité programmée que fut la première guerre mondiale. Chacun y va de son évocation, son analyse et son jugement. Le groupe d’Aubenas de la Fédération Anarchiste a tenu à être présent à ce rassemblement au monument pacifiste de Joyeuse.

« Moi, mon colon, cell’ que j’préfère, c’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit ! »…
On labélise les commémorations, on ose célébrer le centenaire d’une boucherie, on se pousse du coude pour être sur la photo des festivités.
Sans parler de toutes ces cuvées spéciales qui sentent bon le « Achetez, buvez, c’est mon sang… de soldat ». Près de nous, la ville de Pont-Saint-Esprit – labélisée Mission du centenaire sur le thème « le tourisme de mémoire » – a créé avec un viticulteur local une cuvée 14-18. « Un vin de garde, bien structuré » selon le viticulteur qui ne manque pas d’humour…
« Moi, mon colon, cell’ que j’préfère, c’est la cuvée de quatorz’-dix-huit ! »…

Le camp des « définitivement civils » préfère se souvenir de l’assassinat de Jaurès et de son pacifisme de circonstance en oubliant qu’il militait pour « la nation en arme » un peu sur le modèle suisse avec des milices, une préparation militaire dès l’âge de dix ans, à vingt ans six mois de caserne et des exercices jusqu’à trente-quatre ans. Des citoyens longtemps armés, longtemps soldats… « Le pouvoir est au bout du fusil. Le fusil est au fond du placard… ».

11 novembre 1918, les villages exsangues pavoisent : on vient d’en finir avec cette guerre des gueules cassées, cette bouchère de viande humaine. La Der des Ders. On avait suturé, cautérisé, amputé l’humanité survivante pour prendre le dessus sur cette gangrène. Disparue, la gangrène guerrière, le 12 novembre 1918 au matin ? Pas sûr…

Les causes de la gangrène sont :
Soit une embolie, quand un corps vient empêcher la libre circulation sanguine. Les frontières sont toujours là et encore plus nombreuses. La gangrène est en sommeil…
Soit un choc, quand le corps ne reçoit pas assez de sang riche en oxygène. Les replis identitaires nourris par une vision consanguine à l’abri de frontières fermées n’ont toujours pas disparu. La gangrène peut revenir…
Soit une infection provoquée par une bactérie, un microbe. Les religions perdurent. En leur sein, des groupes intégristes se développent et cherchent à envahir l’organisme entier afin d’imposer leurs visions délirantes à toutes et tous. Bactéries de combat, leur développement s’accompagne de la nécrose des tissus libres et non infectés. Autre bactérie létale, le patriotisme continue de séduire à gauche comme à droite. Religions ou patriotisme, ces bactéries sont cultivées en milieu liquide ou sordide. Le capitalisme est un lieu privilégié de prolifération de ces bactéries qui viendront infecter l’humanité. La gangrène attend son heure…
« Aussi longtemps que nous ne pourrons vivre qu’en recherchant la bonne affaire, aussi longtemps que l’on dira « toi ou moi » et non « toi et moi », aussi longtemps qu’il s’agira non de progresser, mais de devancer les autres, aussi longtemps il y aura la guerre.
Aussi longtemps que le capitalisme existera, aussi longtemps la guerre existera. »
écrivait Bertolt Brecht.

Et la guerre est toujours là, la gangrène prospère. 11 novembre 1918, fin de la « Der des Ders » ? Sûrement pas, au regard de la succession de conflits qui vont suivre la « Der des Ders, promis juré ». Pourquoi ?
La gangrène peut aussi avoir une autre cause : l’exposition à un froid intense. Ce froid qui anchylose la volonté de la grande masse des individus. Ce pouvoir glacial qui de tout temps a imposé sa volonté au peuple.

Au Moyen-Age, la féodalité, c’était l’avènement de chefs de guerre qui se faisaient bâtir châteaux, territoires et fortunes par la coercition exercée sur les individus. « Tu m’obéis, tu te bats pour moi, tu bosses pour moi et je te protège. Tu veux t’émanciper, tu me désobéis, je ne te protège pas, je t’écrase. »
Et ce mode de fonctionnement perdure depuis des siècles. Des siècles de pouvoir donné par cette grande farce de sacre. « Sois fidèle à ton seigneur sinon Dieu te châtieras. Sois fidèle à Dieu sinon le pouvoir terrestre te règlera ton compte. »
Et lorsque le peuple voulu s’émanciper du pouvoir royal, on remplaça le sacre par le vote et le quotidien des individus n’en fut pas profondément modifié.
Les pauvres bougres sur les champs de bataille moururent alors pour la république et non plus pour le roi. Beau progrès. Petit cadeau du nouveau pouvoir, les officiers pouvaient désormais être issus du peuple. Le fameux sang impur du nouveau psaume national était le sang que le peuple allait aller verser au combat, offrir à la patrie et aux pouvoirs en place.

Et le peuple souverain continue à croire aux chimères de son pseudo pouvoir alors qu’il n’est que le figurant d’une société où les pouvoirs politiques sous la coupe des pouvoirs économiques décident de tout et pour tous.

2014, commémoration, célébrations festivités. « Moi, mon colon, cell’ que j’préfère, c’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit! »…
Aujourd’hui, notre volonté est en hypothermie.

Le pouvoir du fric, le pouvoir de la force, le pouvoir des croyances ont déclaré la guerre aux humains. Le monde est en guerre et c’est une guerre aux mille visages. Et nous, si nous objectons de cette société absurde, nous nous exposons à la force brutale chargée de nous soumettre.
Il n’y a pas d’Etat de droit rien que des Etats de devoir.

Frédéric Henri Wolff, officier ayant agité un drapeau blanc pour se rendre avec ses hommes le 25 août 1914, sera condamné à mort et fusillé le 1er septembre. Il aura alors le morbide honneur d’être le premier fusillé pour l’exemple et … le plus haut gradé.

Mais aujourd’hui, nos pensées vont au dernier exécuté pour l’exemple : il s’appelait Rémi Fraisse. Il croyait à la raison triomphant de la brutalité.

Un seigneur préfet bien planqué derrière le pouvoir donné par son suzerain avait jugé utile d’envoyer une armée de gendarmes-mobiles surarmés pour mater des individus ayant juste la volonté de vivre debout.
Un gendarme-mobile bien planqué derrière l’ordre reçu de défendre l’ordre établi avait jugé nécessaire de lancer une arme de mort.
Une grenade qu’un ouvrier bien planqué derrière son obligation de gagner sa vie sans réfléchir avait jugé normal de fabriquer consciencieusement.
Mourir à 21 ans au champ d’horreur d’une société assassine, c’est juste inacceptable.

Alors oui à la réhabilitation des fusillés pour l’exemple… Mais à avoir le regard tourné vers le passé on risque d’en oublier le présent : Aujourd’hui, n’oublions pas de montrer notre solidarité avec les mutins d’aujourd’hui en butte à la répression sinon, rendez-vous dans quelques décennies pour en parler…

Pour que notre futur ne ressemble plus à notre passé de souffrance et de sang, ne nous laissons plus terroriser par la force brutale du pouvoir.
« Quand l’ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice. » Romain Rolland, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1915.

Pour notre émancipation, refusons les chantages des pouvoirs quels qu’ils soient.

Ni dieu, ni maître, ni dieu enchanteur ni maîtres-chanteurs.

Source : http://www.aubanar.lautre.net/

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