Lutte des classes et industrie d’armement

Article du Monde Libertaire n°1096 (16-22 oct. 1997)

Brest

C’est à la fin du mois dernier que la lutte des salariés de la sous-traitance de l’arsenal a fini par prendre une importance nationale. Il est remarquable de voir que le gouvernement n’a commencé à s’exprimer publiquement sur les problèmes brestois que lorsque les travailleurs concernés on décidé d’agir de façon radicale. Occupation de la mairie (socialiste !) avec en prime quelques bris de vitres et de mobilier, voilà ce qu’il faut à la «gauche plurielle» pour qu’elle daigne écouter le populo. Si cette action a été retranscrite par les médias nationaux, le fond du problème est resté, quand à lui, dans l’ombre.

S’il est vrai que l’arsenal, avec ses milliers de salariés, représente le plus gros employeur de la région brestoise, cela n’implique pas qu’il soit bénéfique à l’économie locale. Comme dans bien d’autres villes vivant d’une industrie unique quelle qu’elle soit, l’arsenal (et bien sûr la marine nationale) a produit les effets pervers propres à ce genre de situation.

Un patronat industriel vivant exclusivement de contrats juteux avec l’État.

Une municipalité qui, quelle que soit sa couleur politique, s’est à plusieurs reprises lancée dans des dépenses considérables pour des projets plus que douteux. Le plus aberrant d’entre eux fut probablement la construction dans les années soixante-dix de la grande forme de radoub [[La grande forme de radoub était prévue pour accueillir les gros pétroliers qui dans les années soixante-dix commençaient à se faire rare. Elle n’en a en fait jamais vus.]] que les brestois continuent de payer aujourd’hui.

Tout cela est bien sûr aggravé par le fait que la «mono industrie» en question est une industrie d’armement. Le militarisme ambiant n’est pas fait pour développer l’économie et notamment tout ce qui touche à la rade (port de commerce, construction et réparation navale). La surveillance et les formalités imposées par la marine n’y ont pas été pour rien dans les difficultés du port. Mais cela a également touché d’autres secteurs. Par exemple jusqu’à une date récente, les étudiants venant des «ex-pays de l’Est» ne pouvaient pas entrer à l’U.B.O. (Université de Bretagne occidentale).

Faire l’autruche se paie un jour

Depuis longtemps déjà chacun savait que l’industrie militaire allait supprimer massivement des emplois. Faire aujourd’hui du plan Millon la cause de tous les problèmes c’est vraiment faire preuve d’amnésie. Cela fait des années que les luttes sociale tournant autour de l’arsenal sont exclusivement menées dans le but de réclamer des rafiots du genre porte-avion et compagnie.

Face à cette situation les organisations syndicales vont toujours garder pour premier mot d’ordre l’augmentation des dépenses militaires. La question de la reconversion, quand elle est abordée, ne vient toujours qu’au dernier moment quand il n’y a plus rien d’autre à faire. Elle réapparaît par exemple aujourd’hui avec les projets de plate-formes pétrolières. Cela dit aucune réflexion sérieuse n’a été menée dans ce sens.

En 1996 le précédent gouvernement avait décidé de réduire de façon importante les dépenses militaires (et bien d’autres aussi d’ailleurs). Cela dans le but, d’une part, de réduire le budget de l’État. C’est la mode à l’heure actuelle ! Mais, et c’est sans doute le plus important, afin d’appliquer ses nouvelles conceptions en matière de «défense nationale».

L’État se donne désormais pour but de développer une armée d’intervention rapide capable d’aller, à l’instar des Américains, faire régner l’ordre (la terreur ?) un peu partout dans le monde (à ce sujet on pourra lire le numéro 2 de la brochure « la Question Sociale », éditée par le groupe Sabaté de la Fédération anarchiste [[La brochure «L’armée aujourd’hui» peut être commandée à la librairie du Monde libertaire.]]). Il ne s’agit pas là du choix d’un gouvernement particulier, mais d’une politique à long terme défendue tant par les hauts responsables de l’armée que par tous les partis de gouvernement.

Quelles luttes, quelles revendications ?

En juillet 1996 a commencé une série de grandes manifestions avec pour slogan «Brest debout». L’objectif (réussi) de ces manifs était de «rassembler les brestois pour la défense de l’emploi à Brest». C’est ainsi que l’on vit bras dessus, bras dessous travailleurs, patrons, élus de toutes tendances défiler dans les rues pour ce louable mot d’ordre. Nous (le groupe de Brest de la Fédération anarchiste) dénoncions déjà dans nos tracts cette Union sacrée qui ne risquait pas de donner le moindre résultat. Aujourd’hui on ne peut que constater que cette union, non seulement n’a rien donné, mais elle a de plus volé en éclat dès les premiers licenciements (on imagine mal en effet un patron licencieur défilant «pour l’emploi» au coté de ses ouvriers).

Il est surprenant de constater dans cette affaire que les véritables revendications ouvrières sont pour ainsi dire absentes. En effet jusqu’à présent nous n’avons entendu que des propositions du genre préretraites, congés de formation, etc. Est-ce avec cela que l’on «sauvera l’emploi à Brest» ? Jamais les organisations syndicales n’ont cherché à mettre en avant les nombreuses heures supplémentaires auxquelles les entreprises ont fréquemment recours. Ils nous semble à nous les anarchistes que la première chose à faire dans la situation actuelle serait pourtant de réclamer leur interdiction. La réduction du temps de travail est elle aussi oubliée. Mis à part la C.F.D.T. qui n’a dans la bouche que cette fameuse loi Robien, véritable cadeau au patronat.

Alors qu’une frange importante de la population soutient la lutte des métallos il n’y a pour le moment pas l’ombre d’une grève interprofessionnelle.

Le mouvement ouvrier ne saurait passer sous silence le fait que les emplois menacés aujourd’hui ne servent qu’à fournir des armes aux États et à la bourgeoisie du monde entier. C’est ainsi que du matériel français a servi au pouvoir mexicain pour combattre la révolte des paysans du Chiapas. Il faut imposer une reconversion des industries d’armements vers l’industrie civile. Mais toujours sans perdre de vue nos intérêts de classe. Lors de la construction de la première plate-forme pétrolière, des travailleurs, essentiellement des précaires, ont fait des semaines allant jusqu’à 60 heures… Le XIXe siècle donc !

À l’heure où j’écris cet article j’apprends que les grévistes viennent de cesser l’occupation de la mairie à la suite de diverses promesses dont notamment la construction d’une nouvelle plate-forme. Cela dit, la situation ne risque pas de se calmer. Cela ne comblera certainement pas les milliers d’emplois menacés.

Christiangroupe de Brest

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