A propos du Manifeste des Seize

Groupe d’études anarchistes-commu­nistes – Mai 1916 – Document original en PDF

Déclaration et protestation

Ayant pris connaissance de la fameuse Déclara­tion des Seize, dont les auteurs (J. GRAVE, P. Kropotkine, CH. MALATO et autres) se disent toujours anarchistes, antimilitaristes et internationalistes. nous, anarchistes-communistes russes de Paris, déclarons :

1°) Que nous considérons la guerre actuelle comme le résultat naturel, inévitable et depuis longtemps prévu d’une politique de conquêtes et de brigandage poursuivie par tous les états capitalistes sans exception ; que la responsabilité de cette guerre incombe de façon égale aux classes possédantes et dirigeantes de tous les pays. Que tels ou tels gestes de tel ou tel gouvernement aux derniers moments d’avant-guerre furent provo­qués (et le sont toujours) par toutes sortes de considérations (d’ordre militaire, diplomatique, financier, et autres) n’ayant absolument rien de commun avec celles de la défense du « Droit », de la « Civilisation », de la « Justice », de la « Démocratie », etc. ; que, par conséquent, ces gestes ne pourraient ni augmenter ni diminuer la responsabilité de tel ou tel gouvernement pris séparément ;

2°) Que tous les « peuples » belligérants, c’est-­à-dire toutes les classes laborieuses et exploitées de tous les états en guerre, sans excepter le peuple allemand, furent de la même façon entrainés dans cette guerre par voie de tromperie organisée et de contrainte gouvernementale ; que, s’étant montrées partout également impuissantes à ré­pondre à cette duperie et à cette contrainte par une révolution, les masses de travailleurs de tous les états belligérants furent excitées et lancées les unes contre les autres ; que, par conséquent, il ne peut-être question d’une trahison de tel ou tel peuple, de l’agression de tel ou tel peuple contre tel autre, d’une culpabilité ou d’une responsabilité de l’un des peuples ; mais il s’agit d’une lutte entre les possesseurs des richesses. – lutte · menée à l’aide des masses laborieuses dupées, organisées en armées, et jetées les unes contre les autres.

3°) Qu’aucune victoire de l’une ou de l’autre des deux coalitions de brigands (germano-autri­chienne et anglo-franco-russe) ne pourrait ame­ner ni la « chute du militarisme », ni la « libéra­tion des nationalités opprimées », ni le « triom­phe du Droit », de la « Civilisation », de la « Dé­mocratie », etc. ; qu’aucune victoire ne pourrait faciliter la marche ultérieure de « l’évolution humaine », ni rendre plus proche la réalisation des « espoirs d’émancipation » des travailleurs ; qu’au contraire, de quelque côté que penche la victoire, et quelle que soit la situation mutuelle des combattants à la fin de la guerre, cette der­nière ne laissera aux masses laborieuses de tous les pays qu’immenses pertes et calamités, mena­çant de retarder pour longtemps encore la réa­lisation de leurs aspirations ; que la marche fu­ture de « l’évolution humaine » et l’avenir de nos « espoirs d’affranchissement » ne dépendent à aucun degré de telle ou telle victoire, de tel ou tel résultat militaire ; qu’abolir le mili­tarisme ; rendre à l’avenir impossible le retour de nouvelles guerres, imprimer un élan réel à la lutte pour l’émancipation, ne peut s’obtenir que par une action directe, énergique et décisive des masses laborieuses elles-mêmes, sous forme d’un soulèvement révolutionnaire général mené jus­qu’au bout, c’est-à-dire : jusqu’à l’abolition du Capital et de l’Etat et l’instauration d’un régime de communisme non autoritaire.

4°) Que l’impuissance, où se trouvèrent les peu­ples de tous les pays, de s’opposer à la guerre à l’heure de sa déclaration et de tourner, à ce moment même, les armes contre leurs oppresseurs, ne prouve nullement l’impossibilité d’un soulèvement révolutionnaire au cours des événements ultérieurs.

5°) Que le devoir unique et impérieux des révolutionnaires et anarchistes consiste en ce moment à mener à bien une action préparatoire en vue des événements révolutionnaires éventuels, et en particulier à élargir et approfondir la propa­gande contre la guerre et pour un soulèvement révolutionnaire, en concordance avec un travail intense d’organisation. Que la lutte pour une union immédiate et efficace des travailleurs de tous pays, et pour la possibilité de paix qui peut en résulter, une telle lutte représente le point de départ de l’action révolutionnaire contre les exploiteurs ; qu’ainsi, le mot d’ordre pour la paix suppose celui du soulèvement de tous les peuples et de toutes les armées contre leurs oppresseurs, et est le seul acceptable pour les révolutionnaires et anarchistes, le seul mot d’ordre anarchiste, antimilitariste et internationaliste du moment.

6° Que toute opposition, toute propagande con­tre ce mot d’ordre et contre l’action qui s’y·rap­porte, de même que les raisons desquelles une telle propagande découle, – mènent d’une façon logique .et inévitable au reniement de tous les principes sur lesquels. est fondée la lutte des tra­vailleurs du monde entier pour leur affranchisse­ment, et constituent une renonciation à l’inter­nationalisme et à l’anarchisme dans leur vrai sens et leur signification constante.
En raison de toutes ces considérations, nous déclarons que toute propagande pour la conti­nuation de la guerre entre les peuples « jusqu’au bout », c’est-à-dire « jusqu’à la victoire » de l’une des coalitions combattantes, est une propagande essentiellement nationaliste et réactionnaire ; que les buts par lesquels on prétend justifier et expli­quer cette propagande sont tout à fait naïfs, pro­fondément erronés et ne peuvent résister à la moindre critique historique ou logique ; qu’une telle propagande, n’ayant rien de commun ni avec l’anarchisme, ni avec antimilitarisme, ni avec l’internationalisme, représente, au contraire, dans son essence et par ses conséquences prati­ques, une sorte de propagande de militarisme et de nationalisme étatiste prétendu « démocratique » ; qu’il est du devoir absolu des anarchistes­-communistes de lutter fermement contre de tels errements et contre ces courants d’idées absolu­ment contraires aux intérêts vitaux des travail­leurs ; et que, par conséquent, non seulement nous ne pouvons dorénavant considérer les signa­taires de la « Déclaration » comme nos camarades de lutte, mais nous nous voyons obligés de les tenir résolument pour des ennemis bien qu’in­conscients, cependant ennemis réels de la cause ouvrière.

Paris, mai 1916.

Suivent les signatures :

Groupe d’ éludes anarchistes-commu­nistes (20 signatures) ;
Groupe de secours à la presse anar­chiste ;
40 signatures individuelles (par l’in­termédiaire des dits groupements).

Source : http://archivesautonomies.org/

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